Source : Atlantico
Interview de Stéphane Gayet, médecin des hôpitaux au CHU de Strasbourg, chargé d’enseignement à l’Université de Strasbourg et conférencier.
En France, les centres de cryothérapie se multiplient. Le principe : rester trois minutes dans une cabine dont la température oscille entre moins 100 et moins 180 degrés.
Atlantico : Sur YouTube ou Instagram, les influenceurs vantent les mérites de la cryothérapie, et en France les centres de cryothérapie se multiplient. Réduction de la fatigue, baisse des douleurs musculaires après le sport, baisse de l’anxiété, perte de poids… Les bénéfices de la cryothérapie, bien que peu prouvés scientifiquement, seraient nombreux. Passer quelques minutes dans une « chambre froide » peut-il vraiment avoir un tel impact ?
Stéphane Gayet : La cryothérapie évoquée ici est la « cryothérapie corps entier » ou CCE. Si l’on parle bien d’un traitement, le terme est adéquat. Si en revanche l’objectif recherché n’est pas médical curatif, mais concerne la remise en forme, par exemple après un effort physique intense de type sportif, ou a fortiori la relaxation et le bien-être, alors le terme de « cryo-stimulation » est nettement plus adapté que celui de cryothérapie. Cette distinction est essentielle ; pourtant, le second est très largement utilisé – à la place du premier -, sans doute parce que « thérapie » fait plus sérieux que « stimulation ». C’est donc une nouvelle thérapie douce ou non invasive qui vient s’ajouter à toutes les autres, sorte de « médecine parallèle ».
L’intérêt pour la cryothérapie corps entier (CCE) est croissant en France et dans le monde entier. Ses bienfaits qui sont déjà démontrés, ceux qui sont seulement observés et ceux qui ne sont que supposés, méritent vraiment que l’on s’y intéresse.
Le principe et les modalités de la cryothérapie corps entier
La CCE consiste en un refroidissement rapide de l’ensemble du corps à des températures extrêmement basses (en-dessous de -100 °C), dans le but de déclencher des réactions physiologiques au grand froid et dont on attend des bénéfices.
En France, il existe deux grands systèmes de production du froid : l’électricité et l’azote liquide.
Il a été démontré que la CCE incluant la tête (CCE vraie) permettait une baisse de la température cutanée plus importante, et plus homogène que les techniques de cryothérapie « sans la tête », appelées « cryothérapie corps partiel » ou CCP. Dans ce cas, la tête reste hors de l’appareil et l’équipement est de ce fait beaucoup plus simple, mais transportable.
Le principe physiologique sur lequel repose la cryothérapie corps entier est une stimulation intense du système nerveux végétatif, c’est-à-dire le système nerveux involontaire, autonome, qui gouverne les mécanismes permettant à notre corps de s’adapter aux diverses circonstances de la vie (froid, chaud, effort, stress…). Le système nerveux végétatif comprend le système nerveux sympathique (tourné vers l’extérieur : éveil, vie de relation) et le système nerveux parasympathique (qui est au contraire tourné vers l’intérieur : digestion, entretien du corps…). Ces deux systèmes nerveux végétatifs ou encore autonomes agissent en général en sens contraire, en fonction des besoins du moment. Un randonneur active son système nerveux sympathique lorsqu’il marche, court et escalade ; il active son système nerveux parasympathique lorsqu’il mange, se repose et dort. Mais les deux systèmes sont toujours en activité, donc jamais au repos : on parle de tonus sympathique et de tonus parasympathique.
Or, la CCE provoque une plus grande stimulation du système nerveux végétatif que la CCP. Cela suggère que, plus le corps est refroidi et plus le système nerveux autonome est fortement stimulé.
Le déroulement d’une séance de cryothérapie corps entier (CCE)
La personne entre dans la chambre de cryothérapie équipée de protections aux mains, oreilles et pieds (gants, protections d’oreilles ou bonnet, chaussettes basses et chaussures). Les voies aériennes supérieures sont protégées par un masque de type chirurgical, pouvant être doublé : il évite la sensation d’oppression thoracique ainsi que la survenue d’un spasme des bronches (comme une crise d’asthme). Une fois à l’intérieur de la chambre de froid corps entier, la personne écoute et suit les recommandations que lui donne l’opérateur par l’interphone. Elle ne doit pas rester immobile, mais elle doit marcher à une vitesse lente qui ne doit pas échauffer les muscles.
Une séance se déroule le plus souvent très bien ; il y a peu d’effets indésirables. Mais une séance isolée a peu d’intérêt, il en faut plusieurs pour qu’il y ait un effet appréciable. La durée, le nombre et la fréquence des séances varient en fonction de la personne, de sa pathologie et des objectifs fixés. C’est très différent selon qu’il s’agisse d’un sportif ou d’un malade.
La durée est de l’ordre de deux à quatre minutes et doit être progressive d’une séance à l’autre. Le nombre de séances peut varier de cinq à sept ; c’est un paramètre important de l’efficacité du traitement, on peut s’en douter.
Les indications et contre-indications de la cryothérapie corps entier
Ces dernières années, de nombreuses études ont été menées et permettent d’affiner les indications et contre-indications définies lors de la conférence de consensus de février 2006.
Les principales indications, bien reconnues et validées, sont liées aux processus inflammatoires chroniques, ainsi qu’aux douleurs aiguës ou chroniques. C’est ainsi que la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite rhumatoïde, la fibromyalgie, la sclérose en plaques, la maladie de Lyme chronique, sont des exemples de maladies pouvant bénéficier de la CCE.
Dans le domaine du sport et de l’activité physique intense de façon plus générale, la CCE permet de calmer les douleurs et d’améliorer la récupération. Elle a une action qui est à la fois curative et préventive sur les lésions musculaires liées à des efforts intenses, ce qui est particulièrement appréciable dans le sport de haut niveau.
Il faut donc retenir que le grand froid a une action bénéfique sur l’inflammation et sur la douleur, aiguës ou chroniques.
Les principales contre-indications sont les maladies cardiovasculaires, l’insuffisance respiratoire chronique, la présence d’un dispositif médical implanté en sous-cutané, l’existence d’une plaie ouverte, ainsi que la prise de stupéfiants. A l’heure actuelle, on recommande d’éviter la CCE chez l’enfant, par précaution ; c’est pourquoi il est recommandé de ne proposer la CCE qu’à partir de l’âge de 18 ans.
Le mode d’action de la cryothérapie corps entier et les effets cliniques attestés
Il faut comprendre l’effet du grand froid brutal comme un stress violent auquel l’ensemble du corps doit s’adapter et cela de façon rapide. La stimulation que constitue le grand froid entraîne une sécrétion d’adrénaline et de noradrénaline. Elles sont deux substances chimiques endogènes qui jouent un double rôle : celui d’hormone (c’est plus le cas de l’adrénaline) et celui de médiateur chimique de la transmission nerveuse (c’est plus le cas de la noradrénaline). Cette double sécrétion est une action du système nerveux sympathique. Ces deux substances, dans leur action hormonale, permettent de combattre les effets du froid par le moyen d’une vasoconstriction périphérique (spasme des toutes petites artères de la peau et des tissus sous-cutanés), suivie d’une vasodilatation (ouverture des toutes petites artères) des muscles.
Sur le plan tissulaire, il se produit une diminution de l’inflammation profonde, par le biais d’une baisse de production de protéines (cytokines) pro-inflammatoires et d’une augmentation de celle de protéines (cytokines) anti-inflammatoires. Il s’ensuit donc que les œdèmes régressent et que les douleurs s’apaisent. Or, le froid a un effet immunostimulant, mais il s’agit là d’une stimulation immunitaire qui ne favorise pas l’inflammation.
Dans de nombreux pays du continent européen (Allemagne, Autriche, Suisse…), la cryothérapie est couramment associée aux traitements médicaux de fond pour soigner les personnes atteintes de rhumatisme inflammatoire. En France, on a pu montrer que la douleur était significativement diminuée chez les personnes souffrant de rhumatisme inflammatoire, et tout particulièrement en cas de polyarthrite rhumatoïde. La qualité de vie est améliorée. On a également pu conclure au fait que la CCE occupait une place utile dans la prise en charge de la spondylarthrite ankylosante. De plus, il a été prouvé que la CCE augmentait la puissance musculaire, ce qui est un phénomène utile dans le sport comme dans les pathologies.
Mais ce n’est pas tout : une étude a conclu au fait que la CCE produisait une amélioration significative en cas de capsulite rétractile (maladie articulaire douloureuse et invalidante, touchant surtout l’épaule). De réelles améliorations ont pu être obtenues également au cours de la fibromyalgie, ce qui est d’autant plus précieux qu’il s’agit d’une maladie très difficile à traiter ; de surcroît, le traitement a eu un effet favorable sur la fatigue (asthénie), mais au prix de 15 séances.
D’une façon générale, l’effet immédiat après séance le plus apprécié concerne la nette réduction des douleurs ; cet effet survient sans délai. Sur le plan du mécanisme, on a pu constater que la conduction de l’influx nerveux de la douleur était ralentie par le froid. A cet effet antalgique (diminution de la douleur), s’ajoute un effet général de réduction de la fatigue ainsi que d’augmentation du bien-être.
Et ce n’est pas tout : la répétition de séances de cryothérapie corps entier (CCE) semble bel et bien diminuer le phénomène de stress oxydatif, dont on parle tant aujourd’hui : il semble que cela procède d’un renforcement des mécanismes naturels de défense contre ce stress oxydatif. Ce dernier point est crucial et laisse entrevoir de multiples applications de la CCE, en particulier pour des maladies inflammatoires complexes et chroniques, qu’elles soient infectieuses (maladie de Lyme) ou auto-immunes (sclérose en plaques…). Et, cerise sur le gâteau, on aurait également constaté un effet favorable des séances de CCE sur l’état de dépression mentale.
Outre la question du bien-être, la cryothérapie permettrait également de lutter contre Alzheimer, et même de traiter certains cancers. De telles vertus médicales sont-elles réellement envisageables ?
Tout ce que nous avons vu est très prometteur. Etant donné que la cryothérapie corps entier agit sur l’inflammation aiguë ou chronique et sur les mécanismes de stress oxydatif, on peut entrevoir son application à diverses maladies qui sont liées à une inflammation chronique en général. En fait, la plupart des maladies chroniques ont pour mécanisme tissulaire une inflammation chronique : c’est le processus commun à l’essentiel des pathologies évolutives.
Sur le plan de la cancérologie, la cryothérapie occupe une place non négligeable, depuis plusieurs années, dans la prise en charge thérapeutique de tumeurs malignes superficielles ou muqueuses, notamment celles du sein et de la prostate. C’est donc dans ces cas une cryothérapie d’organe et non plus corps entier. On parle également de cryochirurgie. Cela se révèle très utile, avec des suites surtout plus simples et moins douloureuses ; le froid provoque la mort des cellules cancéreuses. Grâce aux progrès considérables de la vidéochirurgie, on peut à présent accéder à divers cancers profonds par endoscopie non canalaire (en dehors des voies naturelles) ; c’est ainsi que le traitement de certains cancers du rein par cryothérapie prend de l’essor et on songe à bien d’autres cancers profonds désormais.
Nous avons vu que la cryothérapie corps entier pouvait avoir une action bénéfique sur certains états dépressifs. En ce qui concerne la maladie d’Alzheimer, c’est une maladie cérébrale neurodégénérative qui résulte évidemment de phénomènes inflammatoires dans le cerveau. Dès lors, compte-tenu de ce que nous avons vu, cela pourrait être une indication de CCE. Mais ce n’est probablement pas la meilleure, en raison de l’âge et de l’absence de phénomènes douloureux.
Il faut retenir que la cryothérapie corps entier ou CCE est une nouvelle méthode thérapeutique pleine d’intérêt. Il faut bien distinguer son application médicale de son application commerciale (les centres de cryothérapie corps entier pour le bien-être et la récupération physique). Médicalement parlant, beaucoup reste à étudier. Il faut faire varier les paramètres afin d’optimiser les protocoles de prise en charge (durée des séances, leur nombre et leur fréquence). Il faut encore préciser les différentes indications thérapeutiques et définir des protocoles adaptés à chacune d’elles. C’est donc un sujet très ouvert.
Enfin, ne s’agit-il pas plutôt là d’un effet de mode ?
Il est logique d’essayer de multiples nouveaux procédés pour traiter des états pathologiques, dans la mesure où la sécurité des soins est assurée. Car la médecine est bien loin d’être très satisfaisante, et elle n’échappe pas au besoin d’amélioration continue. Les traitements thermiques sont ainsi largement utilisés : balnéothérapie chaude pratiquée dans des centres de thermalisme, applications de boues chauffées, traitements thermiques locaux en kinésithérapie, saunas, traitements par rayons ultra-violets, par rayons laser, etc. Dans le domaine du froid, il y a les bains glacés et la cryothérapie. On essaie un peu tout ce que l’on peut essayer, cela paraît naturel. Les idées ne manquent pas et de temps en temps, on a la surprise de découvrir des effets vraiment bénéfiques ; il reste alors à tenter de les expliquer scientifiquement.
Il est vrai que tout nouveau procédé suscite une curiosité naturelle. Mais si la cryothérapie corps entier se développe aussi rapidement et connaît aujourd’hui un tel engouement, c’est parce qu’elle apporte un réel bénéfice. C’est ainsi que se créent des « cryo-centres », « cryo-pôles », « cryo-santé-sport », etc. dans toutes les grandes et moyennes villes. Le préfixe « cryo » se prête à tous les néologismes commerciaux possibles.
Ce relativement nouveau procédé plaît pour plusieurs raisons. La première est la plus importante : la cryothérapie corps entier est aujourd’hui utilisée dans le sport ; or, les sportifs ne s’encombrent pas la vie avec des procédés inutiles : s’ils ont recours à cette technique, cela a forcément de l’intérêt et donc du sens. La deuxième raison concerne tout ce qu’évoque le froid dans l’esprit commun : la conservation, la protection contre la dégradation naturelle, l’arrêt du vieillissement, sans compter la lutte contre le réchauffement climatique ; on conserve des corps par congélation, des milliardaires américains se sont fait congeler après leur mort en espérant que l’on trouvera le moyen de les rajeunir et les ramener à la vie ; en cela, le froid négatif est un peu mythique : il semble arrêter le temps. La troisième raison tient à l’absence de toxicité chimique : la cryothérapie équivaut à un ultra court séjour polaire ou sibérien ; aucune substance chimique n’intervient ni ne risque de polluer les individus dans leur exposition au froid négatif ; c’est un traitement écologique, nonobstant l’électricité qu’il consomme ; il s’agit donc d’une nouvelle médecine parallèle, douce, non conventionnelle, ce qui plaît énormément. Il y a encore une quatrième raison : en cette époque où le confort apporté par la modernité et le niveau de vie élevé rendent les gens paresseux, tout ce qui ne demande aucun effort est attirant ; or, c’est précisément le cas, puisque l’on est passif lors d’une séance de cryothérapie, contrairement à une séance en salle de sport et de musculation : c’est « cool ».
En somme, on va gaillardement à sa séance de cryothérapie corps entier, avec l’impression que l’on va se donner « un bon coup de jeune », sachant qu’au moins, pour une fois, ce procédé n’est pas toxique (cela devient en réalité plutôt rare). Il en coûte de l’ordre de 30 à 40 euros par séance en moyenne. Tout compte fait, pourquoi pas ? Attention, s’il fait chaud dehors, la sortie risque d’être un peu cuisante.
Force est de constater que ce procédé a tout pour plaire. Alors, vous laisserez-vous tenter par un « coup de jeune » ? Encore faut-il en respecter les contre-indications médicales et ne pas en attendre tout de même des miracles. Toujours est-il que cela pourrait peut-être permettre de se rafraîchir les idées, mais en évitant d’en sortir avec le cerveau givré. A suivre.